Notre pronostic fut juste lorsque, dans le numéro 54 de Coyote Mag, nous nous persuadions déjà de la formidable réussite de VICE-VERSA (INSIDE OUT), le nouveau long-métrage des studios Pixar réalisé par l’immense Pete Docter (MONSTRES ET CIE et LA-HAUT). En salles depuis mercredi dernier, rarement un film d’animation aura suscité un tel engouement critique, poussant même certains journalistes à s’étonner très sérieusement de sa non-sélection dans la compétition ronflante du Festival de Cannes.
VICE-VERSA impose le retour du studio Pixar sur le terrain qui a fait sa réputation, celui de l’innovation avec un grand I. Même à Coyote, nous nous interrogions sur le manque de propositions originales justement dans les productions récentes du studio : les problèmes de réécriture et de production qui ont limité le potentiel pourtant énorme de REBELLE et les suites efficaces et spectaculaires mais peu audacieuses que sont CARS 2 et MONSTRES ACADEMY. Avec la sortie prochaine du VOYAGE D’ARLO (nous vous en reparlons très vite suite à la présentation des premières images de ce film au dernier festival d’Annecy) et aujourd’hui VICE-VERSA, la période de « doutes » de Pixar n’est plus qu’un souvenir avec ce véritable chef-d’œuvre.
Joyeux, Timide et Grincheux
En personnifiant les émotions dominantes d’une jeune fille de 11 ans (Joie, Tristesse, Peur, Dégout et Colère) et en répondant ainsi de la façon la plus concrète possible à la question : « mais que se passe-t-il dans la tête ? », le film imagine un monde et développe un traitement « psychologique » absolument inédits. Riley est une enfant de nature très joyeuse, passionnée de hockey sur glace et parfaitement heureuse dans son Midwest natale. Lorsque ses parents décident de déménager à San Francisco, Riley accuse le coup : le changement d’environnement, la perte de ses amis, de ses repères et les prémices de l’adolescence la bouleversent au point de créer une véritable panique dans le « centre de contrôle » de ses émotions. Peur, Dégoût et Colère se retrouvent seuls aux commandes lorsque que Joie, toujours plein d’entrain, et Tristesse, timide et indécise, se perdent accidentellement dans les méandres de l’esprit de Riley. L’odyssée de Joie et de Tristesse vers le centre de contrôle sera d’autant plus étonnante et périlleuse que les différentes parties de la psyché de Riley commencent à s’effondrer…
Ce pitch a ceci de particulier et de génial qu’il semble impossible à traduire en images autrement qu’en animation. En ce sens, la première qualité de VICE-VERSA est de souligner le caractère souvent spécifique et unique du cinéma d’animation face au cinéma en prises de vue réelles, voire, dans le cas présent, sa supériorité dans la mesure où le concept du film permet de rendre passionnant un thème le plus souvent plombé.
Freud, Indiana Jones…
Que nous raconte en réalité VICE-VERSA ? La perte d’équilibre psychologique d’une pré-ado. Dans un film réaliste, nous assisterions à une comédie dramatique ou à un drame sur les effets d’un déménagement mal encaissé : incompréhension croissante avec les parents, difficulté d’intégration dans une nouvelle classe et de se trouver de nouveaux amis, esprit de plus en plus troublée provocant bientôt de très mauvaises décisions. Voilà, en résumé, le scénario sérieux et, disons le, plutôt ennuyeux en arrière plan du film. Mais en plongeant le spectateur dans l’univers psychologique de Riley, un monde à la fois poétique et très concret, VICE-VERSA transfigure une banale crise d’adolescence en comédie d’aventures épiques tout en décuplant son impact émotionnel. Là où dans un traitement « classique », le spectateur ne pourrait compter que sur la qualité des dialogues et l’émotion transmise par des comédiens, le traitement de VICE-VERSA redéfinit totalement la notion de drame psychologique. Ainsi, l’« ami imaginaire », issu des oubliettes de la petite enfance, ou ces « souvenirs essentiels » qui structurent la personnalité, matérialisés ici dans des sphères dont le changement de couleur a des conséquences désastreuses, sont autant d’outils scénaristiques innovants qui enrichissent non seulement le récit d’aventures mais également considérablement le drame psychologique qui se joue. Montrer une petite fille perturbée par une situation est parlant. Montrer littéralement sa « joie » penchée sur le souvenir douloureux ravivée par la situation devient incroyablement plus significatif et fascinant.
Conçu comme une sorte de parc d’attraction labyrinthique posé au bord d’un inquiétant précipice (le néant de l’oubli évidemment), le monde intérieur de Riley est également un gigantesque terrain de jeu, dans tous les sens du terme, pour les scénaristes et la mise en scène. Chaque partie de ce « parc » posséde des lois physiques spécifiques, en particulier lorsque nos deux émotions perdues s’aventurent dans les royaumes de l’inconscient, des rêves ou des cauchemars. Ainsi, par sa nature même, ce monde permet toutes les fantaisies, y compris l’abstraction graphique la plus radicale lors d’une traversée périlleuse ou le sacrifice d’un allié de circonstance qui va aider nos deux héroïnes à retrouvez le bon chemin.
…et Woody Allen
Enfin, troisième avantage de cette représentation directe de l’esprit humain à travers des personnages : la plus-value comique. En 1943, un court-métrage des studios Disney, REASON & EMOTION) mettait déjà en scène un homme préhistorique (l’émotion) et un homme moderne avec lunettes et cravate serrée de rigueur (la raison) se disputant sur le comportement à adopter à l’intérieur de la tête de monsieur tout le monde. Au-delà de la vocation de ce petit film (il s’agit à l’époque de propagande anti nazi), le concept évidemment similaire à celui de VICE-VERSA mettait en lumière le formidable potentiel comique de personnages symbolisant différentes parties de la psyché se disputant pour le contrôle de l’esprit. Dans VICE-VERSA, ce potentiel est évidemment décuplé avec des interactions d’autant plus drôles que les « émotions » ont des caractères très marqués. Mais le clou du spectacle est à venir. Une fois que le spectateur a bien assimilé les rouages de l’esprit de Riley, les brefs aperçus sur ce qui se passent dans la tête des adultes ou, mieux, dans la tête d’un garçon de 12 ans, sont absolument à mourir de rires !
Vous l’aurez compris, VICE-VERSA met la barre très, très, TRÈS haut en matière tout simplement de cinéma. Comédie de situation, comédie burlesque, drame psychologique très subtil et d’une sensibilité parfaitement maîtrisé, récit d’aventures dans un monde aussi onirique et sans entraves que celui d’ALICE AUX PAYS DES MERVEILLES, film d’animation aux standards techniques et artistiques parmi les plus élevés du monde, VICE-VERSA propose tout cela et bien plus encore. A voir voir sans aucune réserve !
Thomas Maksymowicz
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