Anime
Sword Art Online, interview du réalisateur Tomihiko Ito et le producteur Shinichiro Kashiwada
Diffusée pour la première fois en simulcast dans de nombreux pays, la saison 2 de Sword Art Online est la série la plus attendue de l’été. La saga originale de light novels, aujourd’hui déclinée sur de multiples supports, est devenue une véritable poule aux œufs d’or qui soulève bien des questions quant aux méthodes pour réussir à développer une franchise, sur autant de fronts simultanés. Comment gère-t-on les aspects « mediamix » d’une telle machine commerciale ? Pour le savoir, nous avons rencontré lors de deux interviews le réalisateur Tomihiko Ito, le producteur Shinichiro Kashiwada, ainsi que le big boss du studio Aniplex, Masuo Ueda. Entretiens croisés.
A quel moment avez-vous décidé d’adapter les light novels SAO en anime ?
Masuo Ueda : Ça date de bien avant la première saison, nous connaissons de longue date l’éditeur qui publie aussi ACCEL WORLD.
Avez-vous attendu le succès des romans avant la mise en chantier de l’anime ?
Shinichiro Kashiwada : Les deux, en fait ! Pour ce type de light novel, on estime qu’il y a une demande à partir de cinquante mille ventes. Et quand l’éditeur nous a parlé de SAO ou ACCEL WORLD, les deux titres avaient déjà franchi cette barre.
Pourquoi et comment le studio s’est-il retrouvé sur cette adaptation en particulier ?
S. K. : Le premier point important dans le cas d’une adaptation est de connaître la capacité d’accueil qu’a eue l’œuvre originale. Ensuite, il faut déterminer de quelle manière on peut utiliser cette œuvre : en 2D, 3D, en film live… Dans le cas de SAO, nous avons vite réalisé que la 2D conviendrait le mieux à ce titre. Puis, nous avons fait appel à M. Ito car nous connaissions ses compétences techniques depuis longtemps. Aniplex collabore de longue date avec A-1 Pictures, il était donc normal que nous nous tournions vers eux en premier pour réaliser cette série, sous la direction de M. Ito.
Enfin, il fallait conserver l’essence des illustrations d’abec (pseudonyme de l’artiste qui a illustré le roman – ndr), et Shingo Adachi nous semblait le plus apte à assurer cette responsabilité.
Jusqu’à quel point avez-vous dû faire appel à votre imagination pour créer l’univers graphique ? Les descriptions des romans et les illustrations d’abec étaient-elles suffisantes ?
Tomhiko Ito : Autant pour les personnages, il y avait de nombreuses descriptions et illustrations, autant pour tout ce qui les entoure il y avait peu de renseignements. En plus, il y avait trois univers à élaborer, ce qui a été assez pénible. Réussir à faire quelque chose de différent avec ces trois mondes était une gageure, et les indications du roman n’étaient pas très concluantes, donc j’ai laissé libre cours à mon imagination.
Créer trois univers, cela signifie donc trois fois plus de travail que sur une production normale ?
S.K. : Ce fut un point d’inquiétude pour nous, donc nous avons fait en sorte de nous focaliser sur un monde à chaque fois. Par exemple, nous avons bien pris la peine de rester dans le monde virtuel quand le héros, Kirito, le découvre. Il fallait à tout prix éviter de mélanger la réalité et ce monde virtuel, ce qui aurait pu créer une confusion chez le téléspectateur.
T.I. : On m’a accordé plus de temps pendant la préproduction, ce fut une vraie chance. J’ai donc exploité ce temps supplémentaire pour faire tous les travaux nécessaires en amont, je n’ai pas été gêné par la suite. Mais cette préparation a été longue et pénible
L’intrigue est très riche, il y a de nombreux personnages à différents niveaux/univers. Quelles difficultés majeures avez-vous rencontrées durant l’adaptation ?
S.K. : La difficulté est venue principalement de l’adaptation quasi-simultanée de SAO et d’ACCEL WORLD. Seulement, SAO c’était chez nous, et ACCEL WORLD était chez Warner et, pour l’éditeur, il était préférable qu’une adaptation n’ait pas plus de succès que l’autre. Ce ne fut pas un handicap insurmontable, mais il s’est étalé sur une bonne partie de la diffusion, avec nos campagnes de communication respectives qui se chevauchaient.
T.I. : La question du rythme fut cruciale. Pour éviter un tempo trop saccadé, j’ai dû souvent faire des choix par rapport à ce que pensaient les personnages, et ne pas faire de voice-over sur des passages qui, dans le livre, expliquaient bien les sentiments des personnages, mais nuisaient au rythme de l’anime. J’ai allégé la narration, en quelque sorte.
Reiki Kawahara, l’auteur des light novels, a-t-il été consulté ?
S.K. : Il a participé au scénario. Quand nous avons établi que la première saison durerait vingt-cinq épisodes, il a aussitôt été appelé pour travailler sur le script. Nous voulions son avis sur la structure globale de la série, et c’est lui, par exemple, qui a décidé que le premier arc s’arrêterait à l’épisode 14.
T.I. : En vérité, l’auteur avait une idée bien précise de ce qu’il voulait. Il faisait des propositions sans les imposer, mais elles allaient toujours dans la direction que nous souhaitions, donc il a été d’une grande aide.
M.U. : Pour les jeux vidéo, également, il surveillait tout !
Comment vos relations se sont-elles passées avec les équipes en charge des différents jeux SAO ?
S.K. : Grâce au comité de production qui a été créé, nous avons rassemblé des producteurs de jeu, d’animation, des responsables de marketing… Tous voulaient tirer partie de la licence, et travaillent conjointement dans cette direction multimédia qu’on appelle chez nous le mediamix. Bandai a fait la proposition d’aller jusqu’à un centième niveau dans le jeu, alors qu’on aurait dû s’arrêter au niveau 70 pour respecter l’histoire.
Le jeu propose ainsi une histoire originale qui complète la série, c’est un spin-off, et il a été particulièrement bien réussi puisque le jeu s’est vendu à plus de cent mille exemplaires.
Le rôle d’un producteur est aussi de sélectionner le staff qui va travailler sur la série. Vous avez réuni de nombreux artistes de prestige sur SAO, comment avez-vous fait ? De gros chèques ? L’univers de la série a-t-il suffi à les attirer ? Ou bien étaient-ce les exigences de l’auteur ou de l’éditeur ?
S.K. : La plupart des artistes avaient déjà lu le light novel, et ils avaient tous envie de mettre en images cet univers. Nous avions donc une équipe de fans, qui s’est dépassée pour donner le meilleur d’elle-même.
Il y a eu un titre pionnier de ce genre de concept : .HACK. Avez-vous cherché à vous en éloigner pour éviter toute comparaison ?
T.I. : J’ai bien sûr pensé à .HACK tout de suite mais je n’ai pas voulu faire d’équivalence. La qualité du titre était très bonne techniquement, mais pourtant, ça n’a pas très bien marché et on se demandait pourquoi, car c’était du bon boulot. D’après moi, ça vient du personnage principal avec lequel le public n’accrochait pas.
M.U. : Pour ma part, je pense que c’est le fait d’avoir placé le spectateur uniquement dans la position de spectateur des batailles qui a desservi la série .HACK. Donc, dans SAO, on est vraiment DANS le combat.
La première saison a très bien marché au Japon, et la seconde prend vraiment en compte l’international. Quand avez-vous pris cette décision ?
M.U. : La première saison fut très populaire à l’international et nous avons choisi de proposer cette offre légale pour éviter que les fans ne regardent des œuvres piratées. Nous avions pris unanimement et rapidement cette décision.
Hong-Kong, Corée, Taiwan, USA, Allemagne, France : pourquoi des avant-premières dans ces six pays spécifiques ?
S.K. : Parce que c’est là où il y a le plus de marché et où la demande est la plus dynamique.
Une dernière question pour M.Ito. Vous êtes crédité sur LA TRAVERSEE DU TEMPS. Qu’avez-vous retenu de votre travail avec M. Hosoda ?
T.I. : J’avais des idées préconçues sur la manière de réaliser avant de travailler avec lui. Et durant mon travail sur LA TRAVERSEE DU TEMPS ou SUMMER WARS, mes idées formatées ont volé en éclats. Il m’a apporté une autre vision sur le métier.
Propos recueillis par Matthieu Pinon et Thomas Maksymowicz.
Photo : Laurent Koffel. Remerciements à Aurélie Lebrun.
Article publié dans Coyote Mag n°50 de août 2014
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