Interview
L’arcane de l’aube : Interview de Rei Toma
A l’heure où le shôjo s’entiche de majordomes gothico-badass et boude la fantasy, Rei Toma s’impose en reine de l’aventure. A mi-chemin entre l’univers de TALES OF et une écriture à la FRUITS BASKET, le pari est réussi pour ce manga où complots de cour et peuplades exotiques colorent un récit d’action et d’émotion. Rencontre.
Le roman
Le 18 décembre paraîtra l’unique tome du roman L’ARCANE DE L’AUBE. L’histoire prend place juste avant le mariage de Nakaba, c’est à dire à… l’aube du manga, et ces 200 pages s’ouvrent sur une petite série d’illustrations en couleurs signées de la mangaka. Rei Toma n’a pas écrit ce roman, comme le veut à la fois la coutume chez les éditeurs nippons et l’emploi du temps chargé de la mangaka. Elle travaille depuis cet automne 2013 sur une nouvelle série (ROKKA MELT : FIANCE HA YUKIOTOKO), une comédie romantique qui tourne à nouveau autour d’une affaire de mariage plus ou moins forcé…
Vous avez fait vos débuts dans le magazine Cheese, avec des histoires assez classiques baignant dans le milieu scolaire comme TSUKUSHITE AGEMASU et MYSTERIOUS HONEY. Pourquoi avoir ensuite dévié vers la fantasy ?
En fait une histoire dite « scolaire », classique, ressemble beaucoup à ma propre vie et je peux l’utiliser comme modèle. Ce que j’aime dans la fantasy, c’est de pouvoir réaliser des scènes qui seraient impossibles dans la vie réelle – ou que je rêverais de vivre – et donc de vraiment suivre mes envies, mon imagination. Des histoires qui peuvent être dramatiques et spectaculaires… Et dès que les lectrices acceptent l’idée qu’il s’agit d’une histoire fantastique, elles acceptent en même temps ces aspects fantasmés. Cela ouvre plus de possibilités ! Je comptais me tourner vers ce genre d’histoires tôt ou tard… mais je n’osais pas en proposer à mes éditeurs. C’est par hasard qu’ils m’ont demandé si cela m’intéresserait. Il y avait une véritable volonté du magazine, qui vise un public d’adolescentes avec un contenu très classique, de faire quelque chose de différent. On a beaucoup discuté, par exemple pour définir s’il s’agirait d’une histoire ancrée dans le quotidien mais avec des éléments fantastiques ou au contraire d’une série ouvertement fantasy. Et finalement mes éditeurs ont accepté toutes mes propositions et ils m’ont accordé une liberté totale.
Plus jeune, appréciez-vous déjà ce genre, la fantasy ?
Quand j’étais écolière, j’aimais beaucoup FUSHIGI YUGI, comme presque tous les enfants de mon âge. L’héroïne me faisait rêver, mais en même temps je pouvais m’identifier à elle : j’ai vraiment pris du plaisir à suivre son évolution au fil de ses combats.
Comment avez-vous construit les personnages de L’ARCANE DE L’AUBE ?
Il fallait tout d’abord une héroïne, Nakaba, à laquelle les lectrices pouvaient s’identifier. Voilà pourquoi elle est à la fois princesse et victime de discrimination : elle possède une facette très positive, tout en étant vulnérable. Deux traits de caractère qui justement peuvent être partagés par les lectrices. Ensuite, je me suis demandée quel type de personnages masculins elle pourrait avoir à ses côtés. J’ai beaucoup discuté avec mon éditeur car je voulais avant tout mettre en place un triangle amoureux. J’ai donc d’abord créé Loki, qui accompagne toujours Nakaba comme servant, puis un homme qui pourrait devenir son rival : Caesar.
D’ailleurs, je trouve que Mikoshiba dans MYSTERIOUS HONEY ressemble fort à Loki… Est-ce volontaire ?
Vous avez raison, ils se ressemblent, je dois bien aimer ce genre de personnage (rires) ! Et… Je peux vous demander quel est votre personnage préféré dans L’ARCANE DE L’AUBE ?
J’aime beaucoup le caractère de Loki, et en plus il est beau…
Je vois… (rires), c’est aussi mon préféré !
Passer d’une série « school life » (MYSTERIOUS HONEY) à une série « fantasy » (L’ARCANE…) a t-il posé des challenges au niveau de votre dessin ?
Oui. Disons que comme le contexte et les décors changent du tout au tout, je dois souvent trouver des documents dont je m’inspire et que je passe ensuite à mes assistants, pour les châteaux et autres architectures par exemple. Pour mes assistants aussi c’était souvent la première fois qu’ils dessinaient ce genre de décors !
Vous reprenez la symbolique de la couleur des cheveux, très utilisée par les designers de personnages au Japon. Mais pourquoi la chevelure rousse de l’héroïne prend-elle tant d’importance ?
C’est la première idée que j’ai eu. Je l’ai ensuite poussé au maximum en soulignant l’importance des cheveux dans le monde où elle vit. Finalement, c’est un élément très pratique et dont le caractère visuel est bien utile à la mise en scène en permettant d’accentuer les aspects dramatiques… Et puis, j’adore dessiner en couleur. Tous mes processus créatifs – mes images mentales, mes idées – sont en couleur !
Vous accordez une attention particulière à la psychologie des personnages, même secondaires. Quelles difficultés cette exigence amène t-elle ?
Trouver le bon moment pour montrer les différentes facettes d’un personnage ! Par exemple, certains ne s’extériorisent pas immédiatement et je dois les amener à se dévoiler. Je fais durer le plaisir et j’attends parfois tellement qu’au final j’ai la sensation de passer à côté… Je garde d’ailleurs des regrets au sujet Héloïse. J’aurais voulu montrer ce qu’elle ressentait réellement pour Caesar. Ou ce qu’elle pensait de Nakaba … J’ai pris trop de temps à chercher comment dépeindre ses états d’âme, du coup je ne l’ai jamais fait…
Dans la même idée, est ce qu’il arrive parfois que l’histoire vous échappe ?
J’établis dès le début de l’écriture les grandes lignes de l’intrigue mais dès que je trouve de meilleures idées, je n’hésite pas à modifier la trame. Par exemple [anti-spoiler!!], le frère de [anti-spoiler!!], est mort tôt : cette idée a surgi au cours de la publication. Au départ, j’avais prévu beaucoup plus d’échanges entre lui et Nakaba, et finalement j’ai préféré accélérer les choses. Je cherchais à mettre en place un événement capable de bousculer l’héroïne, de la marquer profondément.
Parlons de l’univers : bon nombre d’éléments ne choqueraient pas dans un manga shônen, et on décèle aussi l’influence des RPG (la mise en place de la guerre, l’importance des armes et des matières premières, etc). Pourquoi cet aspect « aventure / action » est-il aussi développé ?
Je voulais que ce manga ne se résume pas à une histoire d’amour dans un monde fantastique. Je voulais un contexte de guerre et des scènes décrivant de façon efficace le genre humain. Ces éléments sont parfois considérés comme plaisant plus aux garçons mais le plus important pour moi reste que mon manga soit bien accueilli par les lectrices. C’est sûr, il y a des scènes de combat, de violence… Mais je n’ai pas du tout cherché à plaire au lectorat masculin.
On croise tout au long du récit des références à des cultures étrangères, telles que des noms latins ou encore des décors qui semblent inspirés par les cultures du Moyen-Orient…
C’est un univers imaginaire, aucun pays ne m’a particulièrement inspiré mais je voulais vraiment que ce soit in mélange de plusieurs cultures. D’ailleurs, je ne me priverai pas d’introduire un jour la culture Japonaise si l’occasion se présente. J’aime penser que l’on peut voyager en lisant mon manga !
L’ARCANE DE L’AUBE illustre plusieurs moments sombres et durs, comme le massacre des demi-humains ou bien les guerres. Pourquoi ?
Je voulais mettre en scène l’Histoire d’un monde en mouvement, d’une révolution et pour cela des scènes cruelles sont indispensables : les changements sociaux radicaux sont le plus souvent causés par des bouleversements aveugles et des injustices. Et quitte à emprunter cette voie, je me suis dit que je devais aller jusqu’au bout ! J’avais déjà évoqué dans certains de mes mangas des sujets durs : la violence, l’intolérance, le harcèlement à l’école, etc. Mais je n’avais jamais approfondi ces idées… En préparant L’ARCANE DE L’AUBE, je voulais accentuer le côté lourd et noir de l’histoire et ces thèmes ont resurgi tout naturellement. J’aimerais bien que mon prochain manga soit plus léger et joyeux !
Propos recueillis par Alyciane, à Japan Expo 2012. Photo Laurent Koffel. Merci à Jérôme Chélim (Kaze Manga). Une version partielle de cette interview a été publiée dans Coyote Mag #44.
En bonus de notre interview, Coyote Mag vous propose une sélection de propos que Rei Toma a tenu durant la Master Class qu’elle animait à Japan Expo en 2012 :
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