Cinéma
Interview Shinji Aramaki
Invité régulier de nos pages, Shinji Aramaki s’est imposé, avec Kenji Kamiyama, comme LE réalisateur qui a su crédibiliser l’animation 3D au Japon. Après ses relectures très remarquées des univers de Appleseed et Starship Troopers, il était incontournable pour assumer le “plus gros budget“ jamais débloqué par la Toei pour un long métrage d’animation : Space Pirate Captain Harlock. Rencontre.
Space Pirate Captain Harlock est en CG mais également en 3D stéréoscopique. En quoi cela a-t-il influé sur la mise en scène ?
A titre personnel, ça fait très longtemps que j’aime la 3D. J’ai fait des courts-métrages en 3D pour des parcs d’attraction, par exemple. J’y trouve un certain charme, ça fait partie de l’attraction et ce long-métrage en 3D est quelque chose que j’avais toujours voulu faire. Nous avons beaucoup travaillé par exemple le “punch“ des détails des vaisseaux de Harlock en 3D !
On distingue deux écoles actuellement dans la 3D stéréoscopique. Il y a ceux qui ont un vrai attrait pour les effets de surgissement, et il y a ceux qui cherchent à élargir le champ de leur mise en scène, et notamment la profondeur. Pour Harlock 3D, comment vous situez-vous entre ces deux philosophies ?
Le film se passe dans l’espace et j’ai souhaité une impression proche d’Avatar de James Cameron pour justement souligner la profondeur infinie de cet environnement. Mais nous avions aussi besoin de l’impact des effets de surgissement dans les scènes d’action et nous avons essayé de tirer parti des deux approches. Je n’arrive pas à dire si je suis extrêmement réceptif ou totalement insensible à la 3D mais, quel que soit le degré de profondeur ou de perspective, ça ne me pose pas de problème. J’ai vu Iron Man 3 l’autre jour et le résultat me semblait naturel. C’était tellement naturel qu’on ne prêtait presque plus attention au relief. On se dit parfois que ça manque d’effets, qu’il faudrait plus de choses qui bondissent de l’écran, mais je reste persuadé que la meilleure approche du relief est celle qui arrive à se faire oublier. L’effet ne doit pas supplanter ce qui se passe à l’écran.
Quel a été le cheminement du chara-design dans Harlock ?
En fait, ce fut un peu inattendu mais j’ai demandé à Yutaka Minoa qui gérait le design 2D de préparer le design de base. C’est quelqu’un qui avait beaucoup de goût et un bon feeling pour ça. Quelqu’un qui sait dessiner et qui comprend tout le charme que Harlock peut avoir. Je lui en ai demandé beaucoup de dessins mais il a travaillé sans pression. Les vrais problèmes sont apparus lors de la transposition de la 2D vers la 3D.
Nous aimerions revenir sur les personnages féminins, justement. Dessinés par Matsumoto, ils semblent ne pouvoir vivre qu’en 2D. Comment avez-vous fait pour les modéliser ?
Il n’y a pas de personnage comme Maetel ou Emeraldas qui apparaissent dans le film. Il n’y a que Mime et Kei qui sont des personnages féminins vraiment dans la veine de Matsumoto. Nous avons eu beaucoup de mal à retranscrire le trait de Matsumoto en 3D, je l’avoue. Autant Kei possède une anatomie plus réaliste que son modèle de papier, autant Mime est assez proche de l’originale avec ses formes très longilignes. En forçant au maximum sur les spécificités du style de Matsumoto, nous avons réussi à donner l’impression que c’est bel et bien une extra-terrestre. Nous aurions été par contre très embêtés si nous avions dû adopter la même approche avec Maetel pour un Galaxy Express 999 en 3D par exemple. Je crois que nous avons réussi à habilement contourner les difficultés posées par ces personnages.
… pour vous retrouver justement avec un résultat beaucoup plus réaliste que le manga.
Le vrai souci a été de créer un rendu photo-réaliste tout en conservant au moins 30% du style de Matsumoto. Pour le personnage de Harlock, nous ne pouvions pas tout le temps tricher : les fans connaissent ce personnage sous toutes les coutures et le symbolisme qui y est attaché est très puissant. Malgré mes inquiétudes, le style Matsumoto est bien passé lors du portage.
Les premiers designs de vaisseaux réalisés par Atsushi Takeuchi étaient différents de ceux de Matsumoto : ils étaient beaucoup plus organiques. Vous avez finalement conservé les codes de Matsumoto. Que s’est-il passé ? Comment les mecha-designs ont-ils évolué ?
Dans le pilote, j’ai en effet demandé à Takeuchi-san de se lâcher sur le design de l’Arcadia, de se faire plaisir. L’origine de l’Arcadia, dans le film, est assez différente et spéciale… On ne peut pas dire que ce soit un vaisseau vivant, mais c’est un vaisseau hanté, maudit. En plus c’est un vaisseau pirate donc il faut qu’il soit effrayant. Par conséquent, nous avons fait quelques modifications pour aller dans ce sens. Et si, grâce à ça, on se rapproche du travail d’origine de Matsumoto, c’est tant mieux ! Nous avons beaucoup discuté avec Takeuchi-san. A l’avant il y a un crâne, à l’arrière, il y a une poupe de bateau comme chez Mastumoto. Quoi qu’on modifie entre ces deux points là, tant qu’on a cet avant et cet arrière, on a l’Arcadia !
Sur Appleseed, vous aviez utilisé du cell-shading. En revanche sur Starship Troopers, vous avez opté pour des textures naturelles. A quel moment décide-t-on du degré de réalisme qu’on cherche à atteindre ?
Cela dépend du projet. Pour Starship Troopers, par exemple, la référence était un film en prises de vue réelles. Comme nous cherchions à atteindre les fans du film, il semblait impossible d’en faire un anime. En revanche pour Applesseed, on partait d’un manga à l’origine…
Pour Harlock, on avait le temps et le budget, donc j’ai voulu relever un défi de haute volée : comment réussir à exprimer le monde de Matsumoto en CG ? Pas seulement avec le réalisme, mais aussi un monde qui fait rêver. J’ai particulièrement fait attention à la cape de Harlock, par exemple. S’il se retourne dramatiquement, sa cape suit le mouvement, alors que dans la réalité, une cape n’a jamais ce genre d’élégance. Avec du CG, cela devient possible (La cape de Superman dans Man Of Steel fut également recréée en CG – NDR). Quand il marche dans l’Arcadia, par exemple, ses cheveux et sa cape ondulent, alors qu’il n’y a pas de vent ! Je ne sais pas si on peut vraiment parler de style “anime“ mais c’est une caractéristique de Matsumoto et indissociable du personnage : j’ai fait attention aux moindres petits détails qu’il avait placés dans les séries précédentes et à les restituer. En réalité, je ne voulais surtout pas entendre de critiques du genre : “Les Américains ont repris les droits et fait une adaptation à leur sauce en mettant plein d’effets et de la super qualité d’image qui déchire les yeux…». J’ai cherché à retranscrire l’esprit qui habitait ces œuvres.
Quelle est la place de la motion capture dans les techniques d’animation du film ?
Nous avons beaucoup utilisé la “mocap“. Seulement, avec la motion capture, vous vous exposez à des critiques du genre : “Vous avez juste capturé le travail d’un acteur, ce n’est pas comme si un animateur s’était cassé le dos à faire le travail“. En réalité, nous avons mis les petits plats dans les grands. Nous avons fait un casting avec de vrais comédiens, une centaine venue de tout le Japon, avec l’espoir d’en trouver un capable d’incarner physiquement le Harlock dont nous avions besoin. “S’il ne comprend pourquoi Harlock est un héros et pourquoi il a la classe, ça ne marchera pas“ : c’était notre mot d’ordre pour notre recherche. Nous avons donc tout mis en œuvre pour trouver un comédien qui puisse entrer en résonance avec Harlock : je ne souhaitais surtout pas que la motion-capture soit utilisée de manière négative. Il nous fallait un grand comédien et il fallait utiliser ses talents au mieux pour avoir le meilleur résultat final. Malheureusement, je ne suis pas encore autorisé à vous dévoiler son nom mais ce sera très bientôt annoncé. Je peux vous dire que c’est un acteur assez célèbre au Japon, dont les efforts ont été sublimés par l’équipe d’animation. Nous avons déjà dévoilé qui ferait la voix de Harlock (Shun Oguri a finalement décroché le rôle – NDR).
Propos recueillis par Matthieu Pinon et Thomas Maksymowicz en marge du festival Geekopolis. Remerciements à Renaud Hamard, Traduction : Stéphane Lapie. Interview publié dans Coyote Mag n°47 (hiver 2013)
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