Interview
Interview Shin’Ichi Sakamoto
Si ASCENSION débute avec l’initiation d’un lycéen à l’escalade, le récit dévie sèchement de la voie du shônen sportif et se révèle plus métaphysique en suivant les pas d’un jeune homme qui se confronte à la mortelle haute-montagne pour se sentir vivant et trouver sa place dans ce monde. En mars, le tome 17 a mis un point final à cette série rêche et sans concession. Il y a deux ans, Shin’Ichi Sakamoto nous avait accordé une interview, publiée intégralement pour la première fois ici.
ASCENSION est tiré d’un roman de Jiro Nitta (1912-1980) se déroulant dans les années 20, qu’est-ce qui vous a motivé à pareille démarche ?
Ce roman m’a donné du courage et en le lisant j’ai eu immédiatement envie d’en faire un manga ! L’histoire pouvait parfaitement être transposée dans le présent sans rien perdre de sa force.
Vous avez travaillé avec différents scénaristes sur les premiers tomes d’ASCENSION, puis vous avez scénarisé la suite vous-même. Pourquoi ?
Au fil des volumes, l’histoire commençait à vivre en moi et à prendre son propre chemin. L’envie de continuer seul m’est venue naturellement, je n’avais plus besoin de personne.
Cela explique t-il qu’au début le héros fait face à un adolescent mystérieux et à un souvenir tragique, mais qui disparaissent ensuite complètement du scénario ?
Effectivement, ces personnages n’apparaîtront plus, mais la fin de l’histoire expliquera pourquoi. Ce manga est à l’image de la vraie vie : on ne sait jamais à quel moment les rencontres vont se faire, à quel moment tout va s’éclaircir… Une rencontre peut prendre un sens longtemps après… Ce n’est ni logique, ni quelque chose que l’on peut maîtriser. Je vous recommande donc de patienter !
En montagne, Buntarô est souvent confronté à la mort… Faut il être en danger pour se sentir vivant ?!
Il porte de grandes souffrances dans son cœur et l’histoire débute alors qu’il est dans une situation vraiment confuse. Je voulais que le lecteur ressente cela avec lui. La douleur permet aussi de ressentir le temps qui passe et donc la vie. C’est l’un des thèmes principaux d’ASCENSION : se sentir vivre.
Justement, la société d’aujourd’hui n’aurait-elle pas tendance à ôter aux garçons toutes les épreuves qui autrefois les aidaient à construire leur personnalité d’adulte et leur masculinité ?
J’ai pu passer quelques jours en Italie et en France, et j’y ai vu les œuvres de grands hommes de l’histoire de l’art qui ont connu une enfance difficile et ont été confrontés à des conditions de vies terribles. Je ne veux pas non plus que les enfants subissent cela à notre époque, mais quelque part, sans difficultés on ne fait rien naître. Plutôt qu’un environnement trop protégé, mieux vaut connaître une certaine dose d’épreuves, car elles permettent de faire surgir la profondeur chez les individus.
En lisant ASCENSION, on se dit que certaines personnes ne sont pas faites pour vivre en société mais plutôt en se confrontant à la nature…
Pour Buntarô, c’est au moment où il est seul dans la montagne qu’il va ouvrir les yeux et comprendre certaines choses. C’est ce qui lui permet de revenir à la civilisation. Il ne veut pas s’isoler définitivement, au contraire ce sont ces aller-retour qui lui permettent de mieux vivre en société. Il doit simplement ne pas avoir peur de prendre le temps d’être seul, car c’est dans ces moments-là qu’il se découvre.
Dans vos mangas, les personnages féminins sont fragiles ou invivables ! Soit il faut aller les sauver, soit elles risquent de faire dévier le héros de son chemin, soient elles sont… bizarres !
Je voulais des personnages féminins différents de ce que l’on voit d’habitude dans les mangas. Toutes les femmes ne sont pas fortes et je voulais montrer cette fragilité.
Le design du héros marque un vrai changement par rapport à vos précédents mangas, KYOMARU et Nés pour cogner : Buntarô est plus fin, plus « doux » même (au début du manga en tous cas)…
Je voulais que Buntarô possède une certaine fragilité, par rapport à son caractère et au fait qu’il n’arrive pas à s’intégrer dans la société. Et pour exprimer cette fragilité, il fallait lui associer une certaine beauté…
Dès le premier tome de Nés pour cogner, on est frappé par cette idée de bagarres en fundoshi (sous-vêtement traditionnel japonais). Est-ce inspiré d’une tradition ?
Non, c’est complètement inventé ! Je me suis replongé dans mes souvenirs de lycéen pour y retrouver ce qu’il pouvait y avoir de plus honteux et gênant à cet âge-là. Et pour un garçon ne s’agit-il pas de la taille de son sexe ? Je me suis arrêté là-dessus car je cherchais une idée comique. Mais je tiens à préciser que je n’ai pas le même complexe que le héros (rires) !
Votre éditeur français présente ce manga comme une réponse à une société trop aseptisée, où il faudrait revenir à la confrontation physique comme moyen de devenir « un homme, un vrai ». Qu’en pensez-vous ?
J’ai moi-même des enfants. Je fais en sorte de ne pas les surprotéger de toutes les expériences un peu violentes. Ils pratiquent la lutte : en confrontant les corps, on apprend le respect. L’esprit de compétition est important. Quand on observe les enfants, on comprend qu’obtenir une médaille d’or ou d’argent est quelque chose de très fort pour eux. Même s’ils ne sont pas premiers, l’envie de le devenir un jour est une motivation suffisante pour les pousser à s’améliorer. Et l’idée de confrontation avec soi-même est tout aussi importante pour les enfants.
Tous vos mangas semblent poser la question : « qu’est-ce qu’un homme ? »…
Jusqu’à ce que je finisse d’écrire Nés pour Cogner, cette question m’obsédait. A la fin, je me suis libéré de cette idée de virilité et j’ai élargi ma réflexion à l’être humain. Désormais, plus que la façon de vivre en tant qu’homme, c’est la façon de vivre en tant qu’être humain qui m’intéresse. J’ai franchi une étape ! Je ne pouvais pas approfondir ma réflexion tant que je restais bloqué sur l’idée de la virilité.
De façon très touchante, vous mettez aussi en scène des artisans et des ouvriers : des aînés costauds et virils que les jeunes générations ne respectent pas. Ne devraient-elles pas plutôt les prendre pour modèle ?
C’est très important, oui…. (il réfléchit – Ndr) Si on réfléchit à l’histoire du manga lui-même, et au rôle qu’a tenu Osamu Tezuka, il y a une paternité : des aînés ont préparé le terrain pour nous. C’est vrai pour le manga, ça ne l’est pas moins dans tous les domaines de la vie.
Pour conclure, on voulait à tout prix savoir si vous avez porté un fundoshi pendant que vous dessiniez Nés pour cogner…
Je suis allé jusqu’à me dire que j’allais essayer… Mais c’est tout ! J’en ai acheté un, mais il est resté dans mon placard. Par contre, un vieil homme qui habite en face de chez moi en porte… Je les vois pendre sur sa corde à linge ! Lui, c’est un vrai patriote, qui n’abandonnera jamais les habits traditionnels !
Cette interview a été partiellement publiée in Coyote Mag n°41. Propos recueillis par Alyciane, en décembre 2011 à Lyon. Remerciements aux Éditions Delcourt, à Akata et à l’équipe du festival Japan Touch !
Ascension, de Shin’ichi Sakamoto / éd. : Delcourt / 17 tomes disponibles (série finie) / 7,99 €
KOKO NO HITO © 2007 by Yoshio Nabeta, Jiro Nitta, Shin-ichi Sakamoto/SHUEISHA Inc.
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