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Interview

Interview Ryu Geum (ARES)

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« Du manhwa de forte tête !! ». C’est ce que nous avait inspiré la lecture d’ARES et rencontrer son auteur, Ryu Geum, n’a fait que confirmer l’idée. ARES met en scène un vaste récit guerrier à l’ambiance sombre et au ton dur, nourrissant d’un magma noir 26 volumes bien plus caractériels que ce qui se fait d’ordinaire en matière de manhwa / manga pour ados. Ryu Geum nous a longuement répondu au sujet de ses œuvres et de ses conditions de travail, au point de faire de notre rencontre un document instructif sur les coulisses de l’édition en Asie. Micro.

On ne sait pas encore grand-chose de vous, revenons donc à vos débuts. Comment êtes-vous devenu dessinateur de manhwas ?

Enfant, je lisais des shônen et je regardais des animés japonais, je me souviens par exemple de CONAN LE FILS DU FUTUR. J’ai perdu mon père très tôt, je vivais avec ma mère et ma grande sœur. En dernière année de lycée, j’ai décidé de devenir auteur de manhwa et la réponse de ma mère à cette vocation naissante a été sans appel : elle m’a viré de la maison ! Je devais donc lui prouver que je pouvais en vivre. Je me suis mis à chercher du boulot via des annonces de recrutement d’assistants d’auteurs de manhwa. J’ai envoyé mes dessins et reçu trois propositions. J’ai opté pour celui qui selon moi dessinait le mieux, Kwon Kaya, qui aujourd’hui travaille au Japon. Au bout de deux ans, je suis parti faire mon service militaire et en revenant j’ai signé avec les éditions Sejong, parce qu’ils étaient les seuls à vraiment vouloir publier ARES. Les autres éditeurs trouvaient le concept trop noir, trop pessimiste. Quatorze tomes ont été publiés avant que Sejong ne fasse faillite. Je passe alors six mois au chômage, puis je signe avec Comic+ mais uniquement pour continuer la série en prépublication. C’est chez un autre éditeur, Random House (Book House) que j’ai pu compléter l’édition en volumes reliés. Mais j’ai un contrat particulier avec eux : je suis propriétaire des droits de ARES depuis la faillite de Sejong. Aujourd’hui, je vais peut-être travailler pour le Japon, via une agence.

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Bravo pour la persévérance dont vous avez fait preuve afin de publier ARES jusqu’au bout ! Ce récit est effectivement plus violent et sérieux que la plupart des manhwas pour adolescents. Comment avez-vous concilié ce ton mature et les exigences plus commerciales de l’éditeur ?

L’éditeur s’est montré totalement souple en ce qui concerne le concept et le scénario, on m’a fichu la paix. Par contre, la liberté de ton et les questions économiques sont passées sous son contrôle. Pour ARES, j’avais deux mois pour boucler un tome sans la possibilité d’être aidé par des assistants. C’était une situation très paradoxale : j’avais a peu près toute liberté car les desiderata des éditeurs, peu nombreux en fait, n’ont pas eu de véritable impact sur le contenu, mais les délais étaient trop courts pour que je puisse faire systématiquement aboutir mes ambitions ! C’est mon plus grand regret, je n’avais pas le temps de travailler à fond le dessin, d’où aussi ce style un peu « rough », qui me permettait de gagner du temps.

À quoi ressemblait votre semaine de travail à l’époque ?

En Corée, l’édition de manhwa augmente ses profits en abaissant les coûts de production à l’extrême. Il y a une sorte de fatalisme et de culpabilité chez les auteurs de manwha. Au lieu de combattre le système, ils préfèrent croire qu’on leur impose des conditions de travail difficiles parce qu’ils ne sont pas assez bons pour mériter mieux. C’est une sorte d’humilité mal placée, que les éditeurs exploitent. En Corée, un dessinateur n’est pas considéré comme un artiste à moins d’avoir un succès commercial incommensurable. Eux-mêmes ne se considèrent pas comme des artistes, ils n’ont pas cette dignité qu’on peut trouver chez un auteur français de bande-dessinée. C’est tragique.

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Pourquoi avoir opté pour un chara-design et des costumes très modernes, voire anachroniques pour un univers médiéval ?

L’enjeu était d’amener de la nouveauté dans ce type de manhwa. Pourquoi ne pourrait-on pas dessiner des histoires basées sur des thèmes plus durs et envisager la mort d’un personnage récurrent ? Au Japon, il y a eu DEATH NOTE, mais s’agit-il vraiment d’un shônen archétypal ? Je ne crois pas. ARES, c’est mon premier enfant et un défi. Les idées qu’on peut y trouver furent toutes spontanées et instinctives, sans arrière-pensées. Le seul moteur fut l’innovation, coûte que coûte. Le stylisme vestimentaire moderne, les patronymes issus de la mythologie grecque, l’univers médiéval réaliste… Personne n’avais jamais écrit un récit pour adolescents aussi sombre et aussi anachronique dans son design, en tout cas pas en Corée.

Justement, vous malmenez pas mal de codes du manga / manhwa pour ados. Par exemple, les personnages sont jeunes mais font preuve d’emblée de compétences et d’expérience…

Je ne souhaitais pas suivre les codes du shônen. On peut même dire que c’était une façon de s’y opposer. Ce modèle de personnage faible ou lâche qui s’aguerrit et au gré de ses expériences, le « level up » à la japonaise, ne m’intéressait pas. La première méthode consistait à ne pas focaliser systématiquement l’attention du lecteur sur le héros mais aussi sur les nombreuses intrigues entre les personnages de second plan. Sans être un récit choral, ARES prend le temps de développer des personnages secondaires qui peuvent, à n’importe quel moment, prendre à leur compte tout le récit.

Vous privilégiez donc plus l’intrigue que les personnages, que vous multipliez. Quels avantages et quelles difficultés ce choix inhabituel vous a t-il valu ?

Trop de personnages encombrent-ils une narration rigoureuse ? Pas sur ARES, qui demeure malgré tout un récit classiquement inspiré par le shônen manga. Sa structure est linéaire, les enjeux sont clairs. Et justement, chaque nouveau personnage permet de multiplier les options de scénario et rend la narration plus variée et dynamique. Je n’étais pas obligé de rester collé à un personnage, surtout quand il me fatiguait. Je suis très méthodique dans mon écriture. Il y a un point de départ et un point d’arrivée très précis. Même si au milieu, je m’accorde beaucoup de souplesse et que je réfléchis à plusieurs options de scénario et de mise en scène, je suis toujours très conscient du dénouement.

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D’où vient votre goût pour les grands récits historiques militaires ?

J’ai puisé dans les récits de la guerre de Troie et la légende des trois royaumes, qui en Asie est en quelque sorte notre roman d’Arthur. Si vous lisez LES TROIS ROYAUMES, vous constaterez qu’il n’y est question que d’intrigues de palais et de stratégies politiques et militaires. Le scénario est d’une richesse incroyable pour un roman écrit au 3ème siècle (il date en fait au 14ème  siècle, d’après des chroniques historiques rédigées au 3ème  – Ndr). Il y avait aussi une longue histoire des Romains écrite par une japonaise, Nanami Shiono, un best-seller au Japon et en Corée. Mélanger tout cela fut une pulsion.

Au Japon, les frontières du shônen manga deviennent de plus en plus floues. En est-il de même avec le sonyun manhwa en Corée ?

Disons qu’au Japon les classifications par âge sont encore très précises. En Corée, notre marché est plus petit et moins strict.

Destiniez-vous vraiment ARES aux adolescents ou plutôt aux adultes?

En Corée, les auteurs ont encore la possibilité d’exprimer leurs envies… Et n’oubliez pas qu’ARES était ma première œuvre. A l’époque, je n’avais pas toutes ces notions éditoriales en tête, j’ai dessiné ce que j’ai voulu…Enfin, presque. Il faut savoir que les éditeurs vous imposent ce qu’ils veulent en Corée. J’ai dû introduire des personnages féminins et des intrigues sentimentale dès le troisième tome alors que je n’avais rien prévu de tel.

Comment avez-vous traité l’arrivée forcée des personnages féminins ?

Rappelez vous que j’avais deux mois pour dessiner chaque volume. En six semaines, j’ai dû créer des personnages féminins suffisamment intéressants pour ne pas plomber l’histoire. J’ai dû improviser, c’était quitte ou double. Je crois que mon imagination m’a sauvé : la pression m’a obligé à optimiser ma créativité et à faire confiance à mon instinct. C’est dans ces conditions qu’on trouve les meilleures idées.

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Passons à un autre de vos manhwa, LE ROI MURYONG. Que retirez-vous de cette expérience où vous avez travaillé avec un scénariste ?

C’était compliqué car j’ai toujours travaillé seul et là on m’avait imposé un scénariste. On n’a jamais eu l’occasion de partager quoique ce soit, nous avons travaillé chacun de notre côté et  la situation a parfois été problématique. Me contenter de dessiner fut à la fois moins oppressant et moins enthousiasmant.

Qu’en est-il de NEPHILIM ?

J’ai essayé d’y poursuivre les intentions d’ARES : corrompre les codes du shônen. J’ai imaginé cet ange, peut-être un peu malsain et démoniaque et ce démon capable de compassion pour inverser les valeurs habituelles. Et Nephilim donc, qui apparaît dans la bible et qui possède cette dualité, mi-homme mi-ange déchu. Les ventes ont été insuffisantes pour assurer la poursuite de la série, pourtant je pense que c’était du bon travail. Il faut aussi savoir que le marché coréen est très difficile, à tel point que même le succès d’un manga comme ONE PIECE n’a pas une ampleur comparable à ce qui se passe dans d’autres pays.

Dernière chose : vous avez donc rencontré vos fans français…

Ils sont très enthousiastes, peut être trop… encore plus que les Japonais !

Propos recueillis par Max lors du salon Paris Manga (février 2012)

 

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2 commentaires

2 Comments

  1. Hiroto

    10 janvier 2014 at 20 h 15 min

    Aaaaha, mille mercis pour cette interview !
    Je fais partie des fans d’Ares, et ça me frustre toujours de voir le délai de sorti entre chaque tome, en france… donc cette interview comble un peu ma frustration ! (Satané tome 7 repoussé)
    D’ailleurs on a bien le sentiment que l’auteur est frustré, aussi. Au niveau de son travail et surtout de ces éditeurs ? En tous cas c’est bien qu’il se soit exprimé librement à ce sujet, s’il avait été japonais je crois bien qu’on aurait eu droit à des propos bien plus édulcorés…
    Pour le moment, je chérie ma dédicace.
    Merci encore pour l’interview !

  2. Laurent Koffel

    11 janvier 2014 at 21 h 20 min

    Merci à toi Hiroto pour ton commentaire ! Ca fait plaisir !

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