THERMAE ROMAE, sous ses atours de documentaire historique sur les bains dans la Rome antique, demeure avant tout un choc inattendu de cultures, provoquant un comique de situation tellement riche qu’il en motive une série animée et même un long-métrage. Rencontres avec Mari Yamazaki, la plus romaine des mangakas et Hideki Takeuchi, réalisateur de l’adaptation au cinéma.
Comment en arrive-t-on à faire un manga sur les bains ?
Les Japonais sont amoureux des bains. J’en suis moi-même une fervente adepte, j’en prends deux par jour… Autre chose : à partir de l’âge de 17 ans, j’ai vécu en Europe et au Moyen-Orient et, au début, je n’avais pas de baignoire chez moi, ce qui a créé une énorme frustration. Plus tard, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de points communs entre la Rome antique et le Japon contemporain, surtout au niveau des bains. Il n’y a selon moi pas d’autres peuples que les Romains de l’Antiquité et les Japonais d’aujourd’hui qui aient pratiqué les bains avec autant d’enthousiasme et de ferveur. Au fil de mes voyages, j’ai visité des ruines et des vestiges si étonnants que j’en concluais que si leurs habitants vivaient avec nos contemporains, ce serait quelque chose de naturel, de pas si étrange que ça…
La nudité dans votre manga est-elle une des raisons de son succès au Japon ?
Je pense que les gens qui aiment les personnages nus trouvent leur compte dans le manga, mais je ne pense pas qu’il s’agisse de la majorité des lecteurs (rires). Plus sérieusement, les Japonais aiment THERMAE ROMAE car, à travers Lucius, ils redécouvrent pourquoi ils aiment leur culture du quotidien et qu’ils avaient peut-être oubliée. Deuxième chose, les Japonais sont très curieux de savoir quel regard les étrangers portent-ils sur eux.
Qu’est-ce qui rapproche un Romain de l’antiquité d’un Japonais d’aujourd’hui ?
Ces deux peuples prennent des bains quotidiennement. Ces deux sociétés ne sont pas monothéistes et elles partagent une étonnante capacité à assimiler les savoirs des peuples étrangers pour en faire quelque chose qui leur est complètement propre.
En quoi est-ce important d’être aussi fidèle à la réalité tant pour la Rome antique que pour le Japon ?
Le thème du voyage dans le temps est complètement irréaliste, y compris en science-fiction. Il fallait compenser en étant très précis, très fouillé historiquement, avoir une approche similaire à une histoire exigeante et crédible de science-fiction. Il y a différents ingrédients : ce côté SF avec le voyage dans le temps, puis le côté historique avec des lieux et des personnages réels et enfin une dimension comique. Tous ces éléments se mettent en valeur mutuellement.
Votre style réaliste est plutôt rare pour une mangaka ?
J’ai étudié et pratiqué la peinture à l’huile pendant dix ans, en Italie, cela a forgé définitivement mon style. Je suis tout à fait incapable de dessiner un manga avec les styles dominants…
Dans THERMAE ROMAE, vous avez déjà traité du Sento, du Ofuro, des toilettes aussi. N’est-ce pas une thématique fermée ? Qu’avez-vous prévue pour la suite ?
Les lecteurs japonais se demandent quand je vais tomber à cours d’inspiration. Jusqu’au volume 3, chaque chapitre est consacré à un type de bain particulier et à la réaction de Lucius. À partir du volume 4, je me concentre plus sur l’histoire de Rome car, à l’origine, je n’ai pas écrit ce manga pour présenter les bains romains ou japonais. La suite va prendre un peu plus de profondeur.
Et si cela avait été l’inverse : un architecte japonais dans la Rome Antique ?
L’architecture romaine étant à la base de beaucoup de ce qui se fait encore aujourd’hui, un architecte japonais serait impressionné et émerveillé. Aujourd’hui on ne peut qu’imaginer comment étaient les bâtiments à l’époque. Les voir tels qu’ils étaient doit être un choc.
Propos recueillis par Antonin Lacomme au Salon du livre 2012. Remerciements à Valentine Veron.
Le manga est publié au éditions Casterman : www.casterman.com
Interview Hideki Takeuchi
Réalisateur de THERMAE ROMAE
Pensez-vous que le succès de NODAME CANTABILE ait favorisé la mise en chantier de THERMAE ROMAE ?
Certainement. Déjà en raison de ma précédente expérience de tournage à l’étranger, mais également du fait, que dans NODAME 2, nous avons fait le pari d’attribuer des rôles de Français ou d’Allemands à des Japonais. Du coup, les producteurs nous ont demandé de faire pareil sur THERMAE ROMAE en confiant les rôles de Romains à des acteurs Nippons. Le casting n’a pas été facile, car j’ai pris le soin de choisir des comédiens métis.
Comment avez-vous convaincu Takeuchi Riki (DEAD OR ALIVE, BATTLE ROYALE 2) pour un second rôle !
Je suis un grand fan et j’avoue avoir appréhendé notre première rencontre. Son charisme m’intimidait et j’avais peur qu’il puisse refuser car il n’avait pas le premier rôle. Mais j’ai trouvé intéressant de jouer avec son image de gros dur et de le montrer dans un rôle plus vulnérable. Le fait qu’il accepte nous a même fait un peu de publicité.
Comment s’est passé le tournage dans les studios italiens de Cinecitta ?
Quand on m’a proposé de réaliser le film, je me suis demandé où tourner les séquences de la Rome Antique. Fallait-il construire des nouveaux décors ou récupérer ceux d’un dorama ? C’est alors que j’ai appris que HBO était en train de tourner la série SPARTACUS dans les studios italiens de Cinecitta. J’ai pris le premier avion pour les visiter et nous nous sommes arrangés pour réaliser nos tournages en même temps et réduire nos coûts respectifs liés aux décors.
Comment s’est passée votre collaboration avec Mari Yamazaki?
J’ai rencontré Mari six mois avant le début du tournage. Nous avons passé un excellent moment en buvant beaucoup de saké ensemble. Elle était tellement contente de voir son manga transposé sur grand écran qu’elle nous a laissé carte blanche. J’ai tenté de rester le plus fidèle possible à son travail et de réaliser la meilleure adaptation possible….
Vous l’avez consultée pour la création du personnage de Mami (Ueto Aya) ?
Non. Cela avait été décidé dès le départ, autrement on se serait retrouvé uniquement avec des papys à poils… Nous avons donc décidé de créer ce personnage sans trahir l’esprit original de la série, ce qui n’était pas une chose aisée. J’ai été fasciné d’aborder l’histoire de son point de vue.
Comment avez-vous réussi à relier toutes les histoires courtes du manga entre elles pour en faire un ensemble cohérent ?
L’écriture a été l’étape la plus difficile. Impossible de mettre simplement bout à bout tous les mangas. J’ai passé beaucoup de temps à les relire pour trouver le point de départ d’une vraie histoire. J’adorais la séquence des graines de bananes, qui m’a donné l’idée de me focaliser sur la relation entre Lucius et l’Empereur Hadrien. Du coup, j’ai demandé à écrire une histoire inspirée du film LE ROI ET MOI.
Les scènes de nus ont-elles posé problème à vos acteurs ?
Lors de la signature du contrat, Abe Hiroshi n’a consenti à apparaître fesses nues que deux fois au cours du film. J’ai feint d’accepter car il était évident qu’il allait devoir se dévêtir beaucoup plus souvent. Au fur et à mesure du tournage, il s’est dévêtu spontanément sans que je ne lui demande rien. Si bien que j’ai même fini par lui rappeler qu’il n’avait signé que pour deux scènes… Il m’a alors répondu que c’était « pour le bien du film » (rires).
Propos recueillis par Bastian Meiresonne au 14e Far East Film Festival d’Udine. Remerciements à Sabrina Baracetti, Thomas Bertacche et Ippolita Nigris Cosattini.
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