Interview
Interview Mamoru Hosoda
LES ENFANTS LOUPS AMI ET YUKI confirme le statut hors norme de l’œuvre de Mamoru Hosoda. Après la comédie fantastique scolaire (LA TRAVERSÉE DU TEMPS) et la « fin du monde » au détour d’un jeu pour téléphone portable (SUMMER WARS), le réalisateur a accoucher d’un des plus beaux films sur la maternité et… la lycanthpopie : LES ENFANTS LOUPS AMI ET YUKI. En apparence moins complexe et moins ambitieux que SUMMER WARS, ce film est pourtant un chef d’œuvre absolu à la mise en scène particulièrement aboutie. De passage à Paris en juin 2012 à l’occasion de la première mondiale du film, Mamoru Hosoda nous a presque tout dit…
Vous semblez privilégier tout le temps un point de vue féminin. Pourquoi ?
Mamoru Hosoda : J’aime beaucoup mettre en scène des femmes c’est vrai. En réalité, il y a beaucoup plus de réalisateurs que de réalisatrices et quand ils mettent en scène des femmes, elles sont le plus souvent des représentations fantasmées. Dans mon cas, je suis surtout intéressé par la vie des femmes car j’estime que leur vie est beaucoup plus cinématographique que celles des hommes. Leur vie est jalonnée de décisions cruciales. Peu importe d’ailleurs lesquelles : leurs décisions sont toujours justes. À bien y réfléchir, il n’y a que la réussite professionnelle qui détermine la vie d’un homme et il me semble que celle des femmes est plus riche. Peut-être que, étant un homme, je vis par procuration la vie d’une femme à travers mes films.
https://youtu.be/6rghtFsWXS0
À l’époque de SUMMER WARS, vous étiez fraîchement marié. Avez-vous eu des enfants depuis et fut-ce une motivation pour écrire LES ENFANTS LOUPS ?
Il est vrai que SUMMER WARS m’a été inspiré en partie par mon expérience du mariage. Cela fait cinq ans que nous sommes mariés et nous n’avons pas d’enfants. En revanche, nous avons des amis qui en ont et ce sont eux qui m’ont inspiré ce film. Je les admire beaucoup et je rêve d’être un parent aussi formidable qu’eux. Il est vrai que le film respire le vécu mais il prend sa source dans mon envie d’être père, pas de mon expérience.
Les enfants Ame et Yuki ont-ils des modèles dont vous vous êtes inspirés ?
J’ai toujours des modèles pour créer mes personnages mais il s’agit toujours de sources multiples, quel que soit leur sexe d’ailleurs. Un homme peut très bien inspirer un trait de caractère ou des dialogues chez un personnage féminin ou un enfant.
Lorsqu’on considère les sujets de vos films, vous semblez avoir absolument besoin d’arguments imaginaires pour mettre en scène des vérités humaines complexes.
Disons que la vérité est un des objectifs de mes films. Quand on parle de cinéma d’animation, on souligne l’avantage de faire parler les animaux par exemple. C’est quelque chose d’irréel que l’animation permet de mettre facilement en scène, mais ce n’est pas en soi l’intérêt de l’animation. Dans mon cas, je m’intéresse à la description des détails de la vie qui m’entoure. C’est ce qui me semble le plus important. Les arguments fantastiques et le cinéma d’animation sont une combinaison redoutable pour nous faire prendre conscience de ce qu’il y a de plus important dans notre quotidien. L’acte de dessiner possède déjà en soi cette prise de conscience.
La scène de l’ours est fascinante. C’est une scène muette extrêmement lourde de sens…
La rencontre avec l’ours est d’abord synonyme de mort pour Hana. L’apparition des oursons en revanche la renvoie à une vérité plus complexe. L’ours n’a pas eu de peine pour retrouver ses petits dans la tempête, au contraire d’Hana. Cette scène la renvoie vers sa condition humaine qui ne pourra jamais entrer en résonance avec ce qui entraîne Ame petit à petit vers la forêt. Je suis ravi qu’on me parle de cette scène car c’est une de mes préférées.
Justement, où avez-vous fait vos repérages et qu’est ce qui vous a attiré dans cette région ?
Nous avons visité de nombreuses régions rurales au Japon. Je n’ai pas privilégié les régions qui attirent les amoureux de la nature mais plutôt une région à l’environnement très rude. Nous avons trouvé un peu par hasard la ville de Kami-Ichimachi dans le département de Toyama, qui est en réalité ma région natale…
C’est une région dont vous étiez familier ou vous l’avez redécouverte ?
J’y ai vécu pendant dix-huit ans et je n’y trouvais aucun intérêt. Je n’y suis pas retourné pendant vingt ans et en la revisitant, j’ai réalisé que c’était un endroit très différent et unique au Japon. La nature y est rude, masculine. Les montagnes également, on les surnomme d’ailleurs les Alpes japonaises du Nord. J’y ai découvert une beauté que je ne soupçonnais pas et qui m’a bouleversé.
Le timing des transformations des enfants en loups est très bref dans le film. Vous avez envisagé de mettre en scène des transformations plus longues ?
Nous avons fait beaucoup d’essais pour les transformations car je ne les voulais pas spectaculaires. Si nous nous étions trop focalisés sur les transformations, le public aurait pensé qu’une forme de magie était à l’œuvre. Or ils changent de forme très spontanément en fonction de leurs humeurs, toujours très changeantes chez les enfants. Il fallait que les transformations aient l’air naturelles, comme un geste absolument anodin comme se gratter ou se passer la main dans les cheveux. La rapidité permettait de banaliser ce qui est d’habitude une épreuve dans les films de loups-garous.
Parlez-nous enfin du vieux paysan bourru qui finit par aider Hana pour son jardin. Son modèle c’est Clint Eastwood non ?
(Rires) Tout à fait. Les habitants les plus jeunes communiquent facilement avec Hana, mais les plus vieux sont d’abord distants. Je voulais conserver un peu de ce sentiment d’une autre époque. Il me fallait un personnage âgé, qui avait vécu la guerre par exemple. Il incarne le passé et l’isolement de la campagne, c’est un mélange contradictoire de force tranquille, d’intransigeance et de sagesse. Le visage de Clint Eastwood traduisait complètement sa personnalité.
Remerciements à Aurélie Lebrun et Renaud Hamard.
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