Interview
Interview Kengo Hanazawa
L’apocalypse pour les nuls
En plein succès de l’adaptation du comics WALKING DEAD par HBO, le Japon nous livre sa version du mythe du zombie avec I AM A HERO. À l’opposé des codes yankees où les héros courageux et volontaires flinguent à tout va, c’est au cœur de la société nippone complètement anesthésiée par la surinformation et la consommation à outrance que Kengo Hanazawa déclenche son apocalypse. Quand un paranoïaque évite la contamination par son repli sur lui- même, quelle société pourra bien naître de ces asociaux survivants ?
Coyote mag : Qu’est-ce qui vous a amené à faire un manga autour des zombies ?
Kengo Hanazawa : Pendant que je réalisais ma série BOYS ON THE RUN, j’ai vécu des moments difficiles, au point d’être très stressé et d’avoir envie de tout détruire autour de moi. C’est à partir de là que j’ai souhaité travailler sur un sujet exprimant cette rage et ce contexte de destruction. Je me suis posé la question suivante : quelles situations pouvaient bien engendrer tout ce chaos ? Et j’ai trouvé que les zombies exprimaient bien ce que je voulais montrer. Des êtres insensibles, sans épaisseur, incarnant toutes les peurs et pouvant engendrer de gros dégâts.
I AM A HERO est un manga catastrophe dont les zombies sont annonciateurs d’une ??
Je n’ai pas trouvé de manga qui traitait du thème des zombies à l’époque et j’y ai vu une opportunité d’être novateur, d’avoir une grande liberté pour écrire un manga sans être influencé ou comparé à d’autres séries. J’ai alors beaucoup puisé dans le cinéma hollywoodien et surtout dans les films de genre comme REC, 28 JOURS PLUS TARD… tout comme le titre qui fait directement référence à I AM LEGEND.
Est-il difficile d’avoir un regard neuf sur ce genre zombie ?
Il est vrai que ce fut difficile. Mais je voulais écrire une série japonaise sur les zombies, avec nos codes, nos rythmes, ancrée dans la société actuelle. Au Japon, on est loin du culte des armes à feu et des héros bourrés à la testostérone… Mes deux objectifs pour cette série ont été de coller au plus près de la réalité japonaise en ce qui concerne l’attitude et les réactions des personnages tout en voulant expliquer l’origine des zombies, car peu de fictions m’ont satisfait de ce côté là.
Dans ce souci de réalisme, comment choisissez-vous et créez-vous vos personnages ?
J’utilise ce que j’ai autour de moi. Mes personnages reflètent parfois mes proches et pour me tenir au plus près de ce réalisme recherché, le meilleur exemple que j’avais sous la main, c’était moi ! J’ai donné mes traits à Hidéo et il est mangaka ! Personne n’est parfait, ou plutôt on a tous de nombreuses imperfections, ce qui rend les personnages attachants par leurs faiblesses. Ensuite, si je vois un personnage désagréable à la télé, je le transforme en zombie dans mon manga et… je le tue ! Je règle mes comptes avec la société de cette manière, ça me défoule (rire) !
Sans être un NEET, alors qu’il en a certains travers, tu as fait d’Hidéo un mangaka paranoïaque… Les peurs et les névroses sont-elles nécessaires à la création ?
Être mangaka signifie devoir mener sa vie, cloîtré dans un atelier, à produire beaucoup en peu de temps. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. C’est une profession qui génère beaucoup de frustration. On vit vraiment en marge à faire des choses qui ne sont pas forcément bien vues par les gens. Ce recul nous permet d’avoir une distance et un autre regard sur notre société, et de là naît la critique. En allant chercher au plus profond de mes peurs enfantines afin d’alimenter cette série, je me suis rendu compte que la peur était un sentiment universel, qui parle à tout le monde et qui peut naître des situations du quotidien. C’est une source d’inspiration sans limite.
Votre empathie pour Hidéo n’est pas toujours très claire, que ressentez-vous pour lui ?
C’est vrai ! Je veux l’encourager, mais Hidéo me ressemble tellement que je ne peux pas faire n’importe quoi. S’il devient trop sûr de lui, un personnage très clair, rassurant, j’aurais l’impression de m’éloigner de moi-même. Il va donc évoluer mais ne deviendra jamais un super héros… Je l’aime autant que n’importe qui s’apprécie. Nous avons tous des petits travers que l’on ne digère pas forcément.
La société japonaise semble comme anesthésiée pas une surconsommation généralisée, avez-vous voulu créer un électrochoc avec cette série ?
Hidéo fait de longs monologues sans réponse et c’est lorsque les zombies attaquent tout le monde qu’il se sent enfin en vie et commence à chercher des réponses. Il est vrai qu’au début de la série, j’ai pensé qu’il fallait changer la façon de penser dans la société japonaise, mais quand le séisme est arrivé en 2011, la réalité a dépassé la fiction. Bien évidemment, ça a été un moment de profonde remise en question pour nous tous. Au début, j’ai voulu choquer puis je me suis ravisé et j’ai décidé d’être plus subtil.
En quoi la catastrophe de Fukushima a-t-elle impacté votre travail sur I AM A HERO ?
Avant le séisme, les Japonais vivaient dans une période tranquille, paisiblement. C’était facile de montrer des états de destruction car cela faisait juste appel à l’imaginaire, nous étions bien loindu réel et nous avons oublié d’où vient notre fascination pour le chaos… Après le tsunami, l’horreur était là et l’insécurité due au nucléaire bien présente. C’est devenu plus difficile et sensible de montrer des scènes de violence. Ce fut compliqué de modérer le niveau de violence puisque la série était déjà bien lancée, mais je m’efforce d’en parler d’une autre manière, en la suggérant, en l’exprimant indirectement … ce qui est peut être même beaucoup plus effrayant au final !
Plus qu’une simple série post-apocalyptique, I AM A HERO peut-il être perçu comme un pamphlet contre la société japonaise ?
Oui, car dès notre plus jeune âge au Japon, nous apprenons à suivre les règles et à vivre en société. Comment ? Pourquoi ? Personne ne nous laisse le temps de nous poser ces questions. On nous fourre simplement dans le crâne les manières d’être et d’agir sans explication. Ainsi, l’ordre est maintenu et la société peut continuer à fonctionner. Mais quand tout se dérègle, que l’ordre est rompu, que se passe-t-il ? Nous sommes alors amenés à réfléchir à tout ça par nous- même pour pouvoir définir la société dans laquelle nous voulons vivre.
Entretien réalisé par Antonin Lacomme à Bruxelles, lors du festival Made in Asia en mars 2013. Interview publié dans Coyote Mag n°46.
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