Après les cauchemars sur bande magnétique de la trilogie RING et plusieurs films encore inédits dans nos contrées Nakata surprend avec le thriller horrifique DARK WATER, à défaut d’être plus ingénieux ou original que RING, est incontestablement le film le plus maîtrisé de son auteur. C’est également celui qui fait le plus peur (plus que jamais : âmes sensibles s’abstenir) grâce à une ambiance savamment distillée. On ne saurait dire si c’est le principe de quasi-huis clos dans un immeuble déprimant où les difficultés d’une mère à conserver la garde de sa petite fille, mais l’histoire qui se déroule sous nos yeux finit toujours par affecter le spectateur. Si Nakata n’arrivera pas à terrifier les amateurs les plus endurcis de films de genre, il trouvera toujours le moyen de les émouvoir. A ce titre, DARK WATER va plus loin que son chef-d’œuvre RING, en créant une relation encore plus complexe et étrange entre les héros et le fantôme qui bouleverse leurs vies. en tout cas, la présentation internationale des films de Hideo Nakata confirme un talent qui, aujourd’hui, désire travailler à hollywood. En attendant ce premier film américain, Coyote Mag vous laisse en compagnie d’un cinéaste surprenant, l’un des rares aujourd’hui à nous mettre vraiment les chocottes !
COYOTE MAG : IL NOUS A SEMBLÉ QUE LES THÈMES PRINCIPAUX DE DARK WATER SONT LA SOLITUDE ET LA MATERNITÉ, ÊTES-VOUS D’ACCORD AVEC CE POINT DE VUE ?
Hideo Nakata : Exactement. En tant que drame réaliste, Dark Water traite de la solitude d’un être humain qui vit dans un grand appartement dans l’anonymat d’une grande ville et qui n’a pas de contact avec ses voisins. Mon film dépeint également les sentiments d’une mère prête à tout pour protéger son enfant.
DARK WATER, EST UN FILM D’HORREUR S’APPUYANT SUR UNE RÉALITÉ TRÈS ACTUELLE OÙ UN VRAI PLAIDOYER QUI UTILISE LE FILM D’HORREUR POUR SOULIGNER LE COMBAT SOCIAL QUE MÈNE YOSHIMI ?
Etant avant tout un film de divertissement, c’est un film d’horreur qui utilise la réalité sociale. Au Japon, nombreuses sont les femmes qui élèvent seules leurs enfants. L’impact du personnage est donc fort et le public peut s’y identifier.
SUSCITER LA PEUR AVEC UN MINIMUM DE MOYENS ET D’EFFETS, EST-CE UNE CONCEPTION PERSONNELLE DU CINÉMA D’HORREUR OU UN EXERCICE DE STYLE, UN PARI NARRATIF ET TECHNIQUE ?
L’utilisation d’un minimum de moyens et d’effets est liée à ma conception des films de ce genre. A Hollywood, c’est à la mode de faire des films d’horreur avec de nombreux effets spéciaux numériques pour montrer des images toujours plus cruelles et choquantes. J’ai vu beaucoup de ces films dans les années 1980 et je ne les aime pas. La cruauté des images ne touche plus les aficionados de ce genre qui s’y habituent à force d’en voir. Je pense au contraire que c’est en limitant le nombre de scènes effrayantes que l’on fait naître l’angoisse et la tension chez le spectateur.
L’ÉPILOGUE DE DARK WATER EST TRÈS ÉTONNNANT, VOUS NE L’AVIEZ PAS ENVISAGÉ DE LA SORTE AU DÉPART…
Initialement, il était prévu de terminer le film quand Ikuko est encore petite. Mais nous avons choisi cet épilogue dans lequel la mère devient un fantôme tout en continuant à protéger sa fille de loin, et finit par la revoir dix ans plus tard. Cette fin a d’ailleurs été critiquée au Japon. Au départ, cela a été un souhait du producteur. Pendant l’écriture du scénario, nous avons vu de nombreux films dont CONTES DE LA LUNE VAGUE APRÈS LA PLUIE de Kenji Mizoguchi. A la fin de ce film, seul l’enfant survit, mais sa mère décédée devient un fantôme et continue à le protéger. Cette fin nous a beaucoup émus, car elle montre la force du sentiment maternel. Nous avions aussi pensé terminer le film par une scène six mois après la disparition de la mère. Mais nous avons finalement décidé de la situer dix ans plus tard pour montrer une lycéenne à laquelle le public des adolescentes puissent s’identifier et nous avons choisi Asami Mizukawa pour ce rôle, car elle est très populaire au Japon auprès des lycéennes.
LE CASTING FUT PÉNIBLE, QUE RECHERCHIEZ-VOUS POUR LE PERSONNAGE DE LA MÈRE ET QU’EST CE QUI VOUS A SÉDUIT CHEZ HITOMI KUROKI ?
Je pense que l’héroïne d’un film d’horreur doit à la fois dégager une grande force spirituelle, être ténébreuse et avoir une sorte d’élégance, de sophistication.
Hitomi Kuroki possède toutes ces qualités. Elle est aussi mère de famille, et je pensais qu’elle pourrait facilement s’identifier à Yoshimi. Pour ce rôle, il me fallait une actrice plus âgée que celles avec qui j’ai travaillé jusqu’à présent. Dans Ring, par exemple, l’actrice Nanako Matsushima n’avait que 24 ans. Hitomi Kuroki a une quarantaine d’années et elle est légère-ment plus âgée que la moyenne d’âge des mères, mais elle fait très jeune. C’est aussi une actrice très professionnelle qui a déjà une carrière de plus de vingt ans.
DE MÊME, LE SCÉNARIO FUT DIFFICILE À ACHEVER, VOUS ARRIVE-T-IL DE RÉÉCRIRE DES SCÈNES PENDANT LE TOURNAGE ?
En règle générale, je discute beaucoup avec le producteur et les scénaristes pendant l’écriture du scénario. Mais une fois que le tournage a commencé, je touche rarement au scénario. Je modifie uniquement des détails au moment où je réfléchis à la scène qui va être tournée. Par exemple, la scène où Ikuko est agrippée par le fantôme dans la salle de bains n’était pas décrite de cette manière dans le scénario.
PRÉPAREZ-VOUS VOS DÉCOUPAGES AVEC PRÉCISION À L’AIDE D’UN STORYBOARD ?
Non, je ne fais pas de storyboard, comme c’est souvent l’usage dans les films d’animation. Mais avant de tourner une scène où les plans sont nombreux, comme par exemple celle de la salle de bains ou de l’ascenseur, je fais par écrit une liste des plans qui doivent être tournés et marque des indications concernant les mouvements de caméra, des personnages, le cadrage, etc. Je distribue ce document à tous les membres de l’équipe.
DARK WATER A ÉTÉ PRÉSENTÉ UN PEU PARTOUT DANS LE MONDE. LE PUBLIC A-T-IL EU DES RÉACTIONS DIFFÉRENTES D’UN PAYS À L’AUTRE ?
Dark Water est sorti à Hong Kong, à Singapour et à Taiwan. La sortie en France est prévue en même temps que celle en Corée. Par ailleurs, ce film a été présenté au Festival International de Berlin, ainsi que de nombreux festivals de films fantastiques, tels que Bruxelles, Sitges, Montréal, et l’accueil a été chaleureux.
Je suis allé faire la promotion du film à Hong Kong et à Singapour et ai discuté avec le public à cette occasion. En général, les spectateurs définissent Dark Water comme un film d’horreur triste. Les réactions ont été assez similaires à celle du public japonais, ce qui n’est pas surprenant puisqu’en Asie du sud Est, nous avons tous à peu près la même concep-tion de la famille. Malgré tout, je ne pense pas que ce film soit perçu différemment par le public oriental et occidental. Aux Etats Unis, où il est actuellement question de faire un remake, Dark Water a paraît-il beaucoup ému des jeunes femmes qui sont allées le voir en projection.
VOUS VOUS ÊTES INTÉRESSÉ TARD AU CINÉMA FANTASTIQUE, QU’EST CE QUI VOUS ATTIRE DANS LE GENRE ET QUELS SONT LES FILMS QUI VOUS ONT FAIT PEUR ?
Personnellement et paradoxalement, je préfère les mélodrames et les histoires d’amour. J’adore aussi les films d’Alfred Hitchcock. Psychose, que j’ai vu plusieurs fois et notamment à Paris, reste un film qui me fait toujours peur. Bien plus que les fantômes, c’est le suspense, la tension psychologique qui m’intéressent.
A l’égard des films d’horreur, j’éprouve à la fois de la haine et de l’amour. Ce que j’aime quand je fais des films de ce genre, c’est créer des situations qui n’existent pas dans la réalité. Essayer de faire peur aux spectateurs en montrant des fantômes stimule mon imagination, ma créativité. C’est comme un jeu d’enfant. Mais je pense qu’un bon film d’horreur doit aussi respecter une certaine logique pour être crédible.
SERIEZ-VOUS PRÊT À TOURNER UN FILM FANTASTIQUE À GROS BUDGET, MÊME À HOLLYWOOD ?
Je veux tourner un film à Hollywood, mais pas un film d’horreur. Cela ne veut pas dire que j’abandonne définitivement ce genre. J’ai d’ailleurs des projets avec mon producteur japonais, et j’aimerais un jour tourner un film d’horreur avec un budget conséquent.
PENSEZ-VOUS POUVOIR LE RÉALISER SANS FAIRE DE CONCESSIONS ET CONSERVER VOS MÉTHODES DE TRAVAIL ?
J’imagine qu’en travaillant avec les studios d’Hollywood, je subirai certainement de la pression de la part de mes producteurs, mais je ne peux pas en parler pour le moment car je ne l’ai pas vécu. D’ailleurs, quand je tourne au Japon, je ne suis pas si libre que ça. Quand j’ai tourné Ring, j’ai eu des discussions très vives avec mon producteur qui voulait absolument mettre de la musique à la fin du film. Mais je lui ai tenu tête, quitte à me faire virer, et j’ai obtenu gain de cause. Je suis prêt à faire certaines concessions, notamment en ce qui concerne le choix des acteurs principaux, car c’est un enjeu déter-minant pour ceux qui financent un film. Mais en tant que réalisateur, j’ai aussi mes limites.
DE QUEL RÉALISATEUR VOUS SENTEZ-VOUS LE PLUS PROCHE ? VOYEZ-VOUS DES POINTS COMMUNS ENTRE VOUS ET PAR EXEMPLE NIGHT SHYAMALAN ?
Je ne me sens proche d’aucun réalisateur contemporain. Je ne pense pas avoir de points communs avec Night Shyamalan, mais il est vrai que dans LE SIXIÈME SENS, j’ai trouvé que sa façon de montrer les fantômes était différente de l’approche classique des films hollywoodiens.
C’est d’une conception orientale dont je me sens proche. J’ai beaucoup de respect pour Nobuo Nakagawa qui est un maître des films de fantômes (kwai-dan mono), et pour Hitchcock. Mon film CHAOS est d’ailleurs un hommage à VERTIGO.
Mais mes cinéastes préférés n’ont pas fait des films d’horreur. J’aime les films dont le personnage principal est une femme, comme ceux de George Cukor. J’aime aussi Jean Renoir, François Truffaut, et surtout, Max Ophuls. LETTRE D’UNE INCONNUE est mon film préféré.
QUEL EST VOTRE OPINION À PROPOS DU REMAKE DE RING PAR GORE VERBINSKI ?
Pour un film produit par Hollywood, je trouve qu’il est plutôt réussi. C’est un film à gros budget mais qui a délibérément pris le parti de rester sobre et c’est cette retenue dans l’horreur qui en a fait le succès. Je pense que la plus grande différence avec mon film est l’approche du temps. Dans les deux films, l’intrigue se passe dans un temps limité, sept jours. Mais alors que j’ai privilégié les premiers jours pour faire monter la pression et donner au spectateur l’impression du temps qui s’écoule, Gore Verbinski est passé très vite sur les premiers jours pour se concentrer sur les deux derniers. Ce n’est pas une critique, mais je pense que c’est une approche différente. J’ai rencontré Gore Verbinski pendant le tournage et il a été très respectueux à mon égard. Je n’ai pas du tout été consulté pour la réalisation de ce remake.
QUELS SONT VOS PROJETS ?
Pour le moment, il n’y a rien de concret. Je lis énormément de scénarios qui me sont envoyés d’Hollywood, et en suis au stade où je rencontre les studios. Mon prochain film devrait être un film de suspense produit aux Etats Unis.
Par ailleurs, avant Dark Water, j’ai réalisé une comédie dramatique qui s’in-titule Last Scene et qui raconte l’histoi-re d’un acteur de cinéma muet qui, 35 ans plus tard, rejoue pour la première fois pour la télévision. Ce film, qui est sorti au Japon en novembre dernier, sera montré au prochain festival de Berlin.
Interview publié dans Coyote Mag #5 (février 2003)
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