Interview
Interview Atsushi Kaneko
Avec BAMBI puis SOIL, Atsushi Kaneko s’est imposé comme un petit génie du manga punk et du thriller malade. WET MOON poursuit l’équation avec un polar halluciné où un flic affronte sa mémoire défaillante dans un clone balnéaire suintant de Las Vegas. Encore une perle noire de Kaneko qui soulève mille questions, on a donc coincé le mangaka autour d’un micro pour une interview, la troisième en sept ans.
COYOTE MAG : POURQUOI AVOIR PLACÉ L’ACTION DE WET MOON DANS LES ANNÉES 60 ?
Atsushi Kaneko : Tout d’abord, j’aime beaucoup cette période pour sa musique, ses films, etc. Ensuite, la Lune est très importante dans WET MOON et j’avais besoin d’une période où l’homme n’y avait pas encore mis les pieds. Pour les besoins de l’histoire, les années 60 étaient donc l’époque idéale. Et comme c’est une période que j’aime beaucoup et que je connais déjà, je n’ai pas vraiment eu à faire de recherches pour en retranscrire l’ambiance.
VOUS MULTIPLIEZ LES RÉFÉRENCES CINÉMATOGRAPHIQUES : GEORGES MÉLIÈS, FAUX-SEMBLANTS DE CRONENBERG, UN FLIC DE JEAN-PIERRE MELVILLE, MEMENTO… WET MOON SERAIT-IL VOTRE MANGA LE PLUS PROCHE D’UN FILM POLICIER ?
En fait, cette histoire est née d’une proposition d’un producteur qui voulait que je travaille sur une bande dessinée parallèlement à la production d’un film. C’est la raison pour laquelle, dès le début, j’ai adopté une écriture très cinématographique. L’ambiance de WET MOON est également inspirée par les films de la Nikkatsu des années 60 : des polars sous influence des films noirs américains et européens de l’époque, mais avec une réinterprétation japonaise. En particulier LA MARQUE DU TUEUR de Seijun Suzuki.
AU CONTRAIRE DES HÉROS DE MELVILLE, VOS POLICIERS SONT SOIT DES ASOCIAUX, SOIT DES HANDICAPÉS. EN PLUS DES MYSTÈRES TORDUS QU’ILS ONT À RÉSOUDRE, ILS SONT EUX-MÊMES TORDUS. POURQUOI ?
Ce qui m’intéresse, c’est d’observer le monde. Il y a à la fois un quotidien paisible, serein, sans histoires, séparé par une mince frontière d’un univers extraordinaire, changeant, perturbant. Je voulais vraiment m’intéresser à cette frontière entre deux mondes. Selon moi, les personnes qui font des allers-retours entre ces deux univers, ce sont les policiers. Un flic, c’est quelqu’un qui peut à tout moment se faire avaler par les choses dérangeantes qu’il voit dans son métier, qui peut sombrer dans la folie à moins peut-être d’être assez fort pour conserver son ego et lutter pour rester tel qu’il est.
PEUT-ON FAIRE UN PARALLÈLE AVEC DALE COOPER ET LA LOGE NOIRE DANS LA SÉRIE TWIN PEAKS ?
L’idée générale est assez similaire. La différence, c’est que dans WET MOON, le personnage possède en lui sa propre Loge Noire, nichée au sein de sa psyché, et elle peut intervenir à tout moment.
LE FLIC DE WET MOON A UNE MÉMOIRE À COURT TERME DÉFAILLANTE : QU’EST-CE QUI VOUS A INTÉRESSÉ DANS CETTE IDÉE ?
Le fait que le héros ne puisse pas se faire confiance. Il ne se souvient pas de ce qu’il a pu faire pendant ses crises d’amnésie. Il n’arrive pas à savoir si c’est lui qui a agi pendant ces phases, si la personnalité consciente à cet instant T correspond à la sienne. C’est ce sentiment qui est le moteur de l’histoire.
DES MUSICIENS ONT CRÉÉ DEUX COMPILATIONS EN HOMMAGE À BAMBI ; LIRE WET MOON DONNE ENVIE D’ÉCOUTER DU JAZZ POISSEUX… QUELLE PLACE LA MUSIQUE PREND-ELLE DANS VOTRE PROCESSUS CRÉATIF ? QUELLE PLAYLIST CONSEILLEZ-VOUS PENDANT LA LECTURE DE WET MOON ?
Quand j’écrivais WET MOON, je n’écoutais que du mambo. Du mambo des années 50 spécifiquement, une musique exubérante, faite pour danser, très sensuelle et sexy. C’est ce genre de musique que je conseillerais.
VOUS SEMBLEZ AVOIR UNE AFFECTION POUR L’ÉLÉMENT LIQUIDE. GOUTTES DE SUEUR ET RIVAGES MARITIMES SONT OMNIPRÉSENTS DANS VOS MANGAS. ON PEUT MÊME POUSSER LE RAISONNEMENT PLUS LOIN AVEC LES COLONNES DE SEL DANS SOIL, L’OPPOSÉ COMPLET DE L’EAU. D’OÙ VIENT CETTE OBSESSION ?
Je pense que tout ce qui est liquide est lié à l’érotisme. Les choses moites, humides, renvoient à l’érotisme. Je vais vous expliquer pourquoi j’ai choisi le titre WET MOON. Avant d’aller sur la Lune, les hommes se demandaient s’il n’y avait pas de l’herbe, de l’eau. Mais quand ils y sont allés, ils ont découvert qu’il ne s’agissait que d’un caillou asséché, ce qui est tout de suite moins poétique. En accédant à la vérité, les hommes perdent leur liberté d’imaginer. WET MOON, c’est la Lune que les hommes ont perdue en allant voir de plus près à quoi elle ressemblait.
BAMBI SENTAIT BON L’IMPROVISATION, LE SCÉNARIO DE SOIL ÉTAIT SAVAMMENT PRÉPARÉ, WET MOON JOUE SUR LES ABSENCES DE SON HÉROS AMNÉSIQUE… CHERCHEZ-VOUS UNE APPROCHE DIFFÉRENTE À CHAQUE FOIS ?
Pour WET MOON, j’ai d’abord écrit la scène finale. A partir de là, j’ai remonté mon intrigue à rebours pour la rédiger en intégralité.
AVEZ-VOUS DE L’AFFECTION POUR VOS PERSONNAGES ? VOUS POUVEZ ÊTRE TRÈS CRUEL AVEC EUX…
Plus le personnage souffre, plus l’histoire sera intéressante. Faire souffrir mon héros est donc un besoin, en terme de narration. Pour moi, l’auteur doit pouvoir tout se permettre vis-à-vis de ses personnages. C’est quelqu’un que le lecteur doit voir comme étant « indigne de confiance », capable de toujours le surprendre. Il ne faut pas que le lecteur se sente en sécurité.
ON SAIT QUE, PLUS JEUNE, VOUS VOULIEZ DEVENIR RÉALISATEUR ET QUE VOUS AVEZ ARRÊTÉ DE LIRE DU MANGA À L’ADOLESCENCE. AVEZ-VOUS DEPUIS CHERCHÉ À « RATTRAPER VOTRE RETARD » ?
Quand je suis devenu mangaka, je me suis juré de ne rien apprendre à partir du style ou des techniques d’un autre auteur. Je ne me suis donc pas documenté en lisant des mangas, j’ai plutôt puisé mon inspiration dans la musique ou le cinéma.
DANS UNE INTERVIEW RÉALISÉE À ANGOULÊME, IL Y A SEPT ANS, VOUS DISIEZ NE PAS DU TOUT ÊTRE INTÉRESSÉ PAR L’ANIMATION JAPONAISE. POURQUOI ?
Aujourd’hui ça reste vrai, à cause de choses toutes simples, comme le doublage. Les comédiens sont dirigés de manière à réciter leur texte d’une façon très formatée. Pour moi le monde de l’animation japonaise fonctionne en vase clos, il est hermétique et ne reçoit plus aucune influence extérieure.
MÊME DES ARTISTES COMME MASAAKI YUASA, LE RÉALISATEUR DE MINDGAME ?
Je n’ai pas encore vu ses films, je n’ai donc pas d’avis. En tout cas, on m’en a dit beaucoup de bien, il faudrait que je les regarde…
POUR FINIR : DANS SOIL, LE CHEF YOKOI RÉPÈTE SOUVENT : « LES GENS NORMAUX, ÇA N’EXISTE PAS ». LE PENSEZ-VOUS ?
C’est exactement mon sentiment. Je pense que tout le monde est un peu taré.
Propos recueillis par Matthieu Pinon au FIBD 2014, publié dans Coyote Mag n°48 (hiver 2014)
Traduction : Aurélien Estager. Remerciements à Sandrine Dutordoir (Casterman)
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