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Décès de Jirô Taniguchi
C’est avec beaucoup de tristesse et de confusion que nous apprenons le décès de Jirô Taniguchi à l’âge de 69 ans. Mangaka dont l’œuvre a beaucoup été considérée comme une césure importante entre Japon et Occident, Taniguchi a eu un succès précoce en France qui a aussi contribué à forger un certain malentendu.
Intronisé et reconnu très tôt par l’édition (Casterman et Kana principalement) et par les médias culturels français dès les années 90, il fut le mangaka dont on parlait beaucoup, voire uniquement, pour ne surtout pas parler de tout un continent de création qui pourtant, au même moment, explosait commercialement en Occident. Si la situation a évalué positivement dans les années 2010, ce regard élitiste, très français, a longtemps imposé une image tronquée de l’oeuvre de Taniguchi.
Il fut en effet défendu en France d’abord à travers des mangas « de la maturité », principalement réalisés dans les années 90 et 2000. Ces œuvres, des récits d’aventures, des drames et des chroniques du quotidien, sont pour la plupart très réalistes, même quand elles investissent le genre fantastique (QUARTIER LOINTAIN, son plus gros succès en France, LA MONTAGNE MAGIQUE ou UN CIEL RADIEUX).
Dans le registre épique, citons surtout LE SOMMET DES DIEUX, formidable saga sur l’alpinisme, dont la flamboyance graphique va suffire à faire oublier SETON, un western, BLANCO, très inspiré par Jack London, SKY HAWK, un récit sur des samouraïs égarés dans les guerres indiennes de la conquête de l’Ouest, ou L’HOMME DE LA TOUNDRA, un incroyable recueil d’histoires courtes très variés. En effet, le Grand Nord ou l’homme face aux éléments parlent infiniment moins à la critique française que l’introspection. Cela tombe bien car Taniguchi, l’introspection il adore ça et il a consacré des milliers de planches à des errances intimes. LE JOURNAL DE MON PERE, LE GOURMET SOLITAIRE, L’ORME DU CAUCASE, UN ZOO EN HIVER, LES GARDIENS DU LOUVRES, FURARI, ou L’HOMME QUI MARCHE, le premier opus qu’il a écrit seul, sont autant d’exemples d’une œuvre devenue personnelle et qui a trouvé un écho finalement peu étonnant auprès des béotiens du manga dans notre pays.
La mangagraphie de Taniguchi ne se résume pourtant pas à une œuvre « compatible » avec la création en BD telle qu’elle est conçue par une certaine presse culturelle française. Ces dernières années, Casterman et Kana se sont enfin plongés dans la jeunesse d’un auteur féru de romans noirs, de biographies et de science-fiction ou même de sport. ENEMIGO, TROUBLE IS MY BUSINESS, TOKYO KILLERS, AU TEMPS DU BOTCHAN (réédité en 2001), ICE AGE CHRONICLE OF THE EARTH ou GARÔDEN, tous dessinés avant 1990, témoignent d’un artiste qui, même dans des œuvres de commande, instillait une exigence unique dans la construction de personnages, la création d’univers imaginaires, ou cette forme de justesse psychologique et de naturalisme qu’il a développés très tôt et qu’il a su appliquer à des types de récits extrêmement variés. Au-delà de l’artiste qui savait projeter les états d’âmes profonds de ses personnages dans la précision de ses décors, les mangas de Taniguchi sont empreints d’une diversité, toute japonaise, qui l’empêche, il nous semble, d’entrer dans des catégories stériles et toutes françaises…
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